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est associé le nom propre de François Sagnes.

Les images qu’il nous montre ne sont pas faites pour qu’on y jette un œil mais pour qu’on s’y arrête ou qu’on y revienne dans des lieux et des temps différents. Magistralement, il se réapproprie tout un ensemble de catégories qu’il va faire ployer, se déployer ou se redéployer par la magie toute relative du dispositif et de l’image photographique. Son travail entre en résonance avec les textes benjaminiens qui revalorisent l’allégorie, allégorie comme principe d’une esthétique de la modernité, allégorie “unique et grandiose divertissement qui s’offre au mélancolique“*. Un renversement s’opère depuis les premiers travaux tournés vers l’espace intérieur, les mises en scènes, les miniatures, tournées vers le dedans pour mieux extérioriser, et les travaux récents, ouverts sur les espaces grandioses de l’île de Pâques, les œuvres monumentales d’Égypte, tournées vers le dehors pour mieux intérioriser. L’allégorie n’apparaît que là où il y a abîme, abîme relatif au sein de l’œuvre qui renvoie à l’abîme du monde, les ruines qui jonchent le sol en témoignent. Le bel et grandiose ordre n’est plus, le bel et grandiose ordre ne sera plus.

La photographie participe non tant à cette mise à mort qu’au démembrement de la totalité. La photographie, art du fragment dont François Sagnes joue pour nous montrer des monuments dont on ne sait plus qui des dieux, des hommes ou de la nature font ce qu’ils sont. L’image photographique tranche, prélève dit-on pudiquement ; elle tranche tant et si bien que le réel dans son unicité supposée en deviendrait double. Mais ce double réside au sein même de l’image, de cette image qui présente quelque troublante parenté avec ce dieu au masque, étranger, qui vient semer le désordre, qui se montre présent et absent, univoque et multiple, insaisissable et ubiquitaire, dont l‘identité est celle de l’équivoque. Identité sur laquelle se fonde la métaphysique occidentale et que l’image fait vaciller.

Ainsi les images de François Sagnes nous montrent-elles l’action du temps qui ne se soucie guère de la dichotomie traditionnellement opérée entre nature et culture. Indifféremment l’air, l’eau, … érodent les roches, produits de la nature, et les blocs de pierre travaillés par l’homme. Ces actions du temps et des éléments ne renvoient-elles pas à celle de la lumière dont use la photographie ? Traces géologiques d’un côté, chimiques de l’autre, montrées par l’image soi-même. Ces traces ne demeurent pas figées ; Égypte, blocs épars indique que d’autres traces viendront se superposer à celles déjà existantes.

L’exposition ne clôt pas le procès de production car ce qui doit retenir notre attention c’est non seulement le caractère multiple, pluriel, polyvalent de l’image photographique, mais aussi son caractère éminemment transformable. Le travail photographique de François Sagnes, toujours en devenir, nous le montre. Il est porteur d’énigmes et ouvre à la méditation joyeuse qui entrelace les mondes de l’ombre et de la lumière.



Jean-Charles Jambon


* Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, éd. Flammarion, Paris, 1985.

Texte pour l’exposition François Sagnes , Les Ateliers Nadar, Marseille, mai - juin 1991.