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MIROIRS DE MARBRE

Faces de pierre



Blocs épars ou feuilles de pierre, posés intentionnellement ou laissés tels quels par l’ironie du temps, peu nous importe : juste et uniquement ce que le regard et la matière peuvent nous dire, nous donner et nous montrer dans leur extrême sensibilité à saisir et à extraire ce qui du réel et de la photographie concourt à l’épiphanie d’une image.

Image qui fascine et trouble tout en privilégiant la définition rigoureuse des formes et de leur facture.

Épiphanie de pans de gris et de blancs dont la finesse de texture traduit l’extrême plasticité du support photographique. Celui-ci en effet est ici découvert, accepté et choisi pour sa capacité à révéler mais aussi à ‘donner‘.

Espaces de tons lumineux, les photographies de François Sagnes oscillent dans cette tension fictionnelle où le minéral se laisse déposséder de sa pesanteur, où ce qui était de taille directe dans la masse devient paysage de blancs photographiques.


Le photographe prend ce qui a su capter son regard puis laisse advenir ce que sa sensibilité aura bien voulu retenir. Il ne capture rien. Au mieux s’arrête-t-il devant ce qui est déjà là, antérieur à sa présence mais figé ainsi par le hasard et travaillé déjà par le temps.

Équarri, laissé à vif ou abrasé, le marbre de Carrare n’est que densité lumineuse. De bloc, il devient plaque tant sa matière même semble susciter cette transmutation des blancs en transparence veinée. De là cette impression de légèreté, qui nous trouble et nous fascine alors même que la prise de vue frontale nous rappelle le poids de leur masse.

Magistralement posées sur le sol, ces stèles aux formes géométriques pures se détachent de leur carrière d’origine pour s’offrir telles des icônes exemptes de figures mais véritables visages de pierre. Là où le regard nous transportait vers une représentation inaccessible, le toucher des yeux renverse ce carré et ce triangle en véritables faces de ‘chair minérale‘. Pas étonnant que nous puissions y projeter le souvenir des monochromes lumineux de Rothko ou celui de la chair picturale de la ‘Raie‘ de Chardin.

En effet, il n’est pas tant de forme dont il s’agit ici, que de cette puissance irradiante dont la photographie a le privilège de dévoiler les pouvoirs de construction. Ce sont ainsi les ‘faits‘ du blanc qui travaillent avec les lois de l’apparence pour inventer des fictions lumineuses où n’auraient pu surgir que des narrations sculpturales. Les blancs de la pierre se renversent en transparence de la matière pour nous laisser réfléchir par ses miroirs de marbre sans tain …


Michelle Debat

Février 2001

Texte publié dans : Miroirs de marbre – faces de pierre ; éditions galerie Pennings, Eindhoven, 2001; portfolios réalisés à 12 exemplaires comprenant sous emboîtage 30cm x 40cm deux tirages originaux.

Michelle Debat est enseignante à l’Université de Paris 8 et critique.